PAR RAYMOND BLAIN
« Types de discours », « types de textes », « genres de textes », « textes »… les références à la classification textuelle se multiplient aujourd’hui dans les ouvrages didactiques. Souvent, on trouvera, dans un même ouvrage, les dénominations de texte, discours, et genre, pour refaire référence à un même type textuel : le récit. Essayons de clarifier un peu la situation.
Le classement de textes du programme de 1980
Dans le programme de 1980, on a abordé les textes sous deux angles : leur fonction et leur structure. La fonction correspond à une intention. Quelqu’un écrit ou parle dans l’intention d’informer, d’exprimer des goûts et des sentiments, de convaincre, de satisfaire un besoin d’imaginaire.
La structure correspond à une caractérisation de l’organisation des contenus : on privilégie la narration, la description, l’analyse et l’argumentation. Il faut comprendre que ces deux aspects peuvent se combiner : on peut exprimer ses sentiments en racontant, décrivant, en argumentant, etc. En fait, les liens entre les deux angles d’approche ne sont pas toujours clairement explicités dans les documents ministériels ou didactiques provenant de l’édition scolaire. Plusieurs questions restent en suspens. En voici quelques-unes. Est-ce que la description ne se limite qu’au texte imaginaire, de fiction ?
Jean-Michel ADAM, professeur de linguistique française à l’Université de Lausanne, docteur d’État, a publié de nombreux ouvrages et plusieurs articles sur les types de textes. Parmi les plus célèbres on trouve
- Le récit (Que sais-je, 1984), Le texte narratif (Nathan Université, 1985),
- Quels types de textes ? (Revue Le français dans le monde, 1985),
- Les types de séquences textuelles élémentaires (Revue Pratiques, 1987),
- Pour lire le poème (De Boeck-Duculot, 1985),
- Éléments de linguistique textuelle (Mardaga, 1990),
- Les textes : types et prototypes (Nathan Université, 1992).
Il est également l’auteur de Linguistique et discours littéraire (Larousse, 1976, avec Jean-Pierre Goldenstein) et du Texte descriptif (Nathan Université, 1989, avec André Petitjean).
La théorie de Jean-Michel Adam s’est peaufinée au cours des dernières années. Des sept séquences élémentaires (1985) qu’on trouvait dans ces premiers ouvrages Adam a maintenant réduit à cinq séquences prototypiques (1992) à partir desquelles on peut analyser ou écrire tout texte.
Est-ce que, dans un roman, il ne peut y avoir de passages expressifs ?
Dans un dialogue, peut-on essayer de convaincre un personnage de récit d’aventures ?
Peut-on raconter une histoire dans une lettre d’opinion ? Peut-on informer dans un roman ?
Est-ce qu’on m’informe ou on m’explique ! ?
Le classement de Jean-Michel Adam (l’approche séquentielle)
Jean-Michel Adam, linguiste suisse, a consacré ses recherches, pendant près de deux décennies, à une typologie qui évolue et qui tente de clarifier la situation. Il propose de classer les textes à partir de cinq types de textes prototypiques (qu’il nomme séquences élémentaires prototypiques).
Il distingue les types narratif, descriptif, argumentatif, explicatif et dialogal. Chacun de ces types de textes réfère à un modèle abstrait qui possède des caractéristiques structurelles et linguistiques qui lui sont propres et qui le distingue des autres types. Pourquoi prototypique ?
Selon, le Petit Robert, un prototype réfère à un modèle exemplaire, le modèle principal. On comprendra que les modèles proposés par Adam ne peuvent rendre compte de toutes les façons dont les auteurs écrivent, structurent leur texte. Mais il faut commencer quelque part. L’observation de différents textes amènera les élèves à se représenter mentalement des schémas prototypiques qui leur serviront à mieux comprendre la structure d’un texte et par le fait même à en mieux construire le sens. Puis, au fil de leurs lectures, ils observeront des structures qui ne respectent pas tout à fait le modèle prototypique. À partir des connaissances qu’ils ont du modèle prototypique, ils pourront se construire de nouvelles représentations qui leur permettront d’avoir en mémoire de plus en plus de plans d’organisation textuelle qui feront d’eux de meilleurs lecteurs et de meilleurs scripteurs. Par exemple, quand un auteur écrit un récit d’aventures, décidera-t-il de commencer in médiasres, dans 1 ‘action (L’îlemystérieuse de Jules Vernes) ou par un événement qui se situe chronologiquement à la fin de l’histoire (Les neiges du Kilimandjaro de Ernest Hemingway) ? Ayant observé de tels textes qui ne correspondent pas au modèle prototypique, les élèves pourront analyser ces nouvelles caractéristiques structurelles (un plan organisé comme suit : résolution, situation initiale, complication, actions, fin de la résolution, situation finale ; c’est la structure du roman de Hemingway) et les imiter dans leurs propres productions.
LE TEXTE
Adam définit le TEXTE comme une suite de phrases syntaxiquement correctes écrites selon des règles de cohé- rence interphrastique. Un texte concrétisé est formé d’un ou de plusieurs types de textes qu’il a définis. Un texte peut être formé d’un type de textes unique (ces textes se rencontrent rarement dans les pratiques de lecture des élèves). C’est le cas, parexemple, d’un récit minimal de type narratif comme le texte de Camus, sans descriptions ni dialogues :
La légende de saint Dimitri
[Il avait rendez-vous dans la steppe avec Dieu lui-même, et il se hâtait '] [lorsqu 'il rencontra un paysan dont la voiture était embourbée 2 .] [Alors saint Dimitri l’aida (…) Il fallut batailler pendant une heure 3 .) [Et quand ce fut fini, saint Dimitri courut au rendez-vous 4 .] [Mais Dieu n ‘était plus là 5 ./ Albert Camus (Les justes, édition Gallimard).
1. correspond à la situation initiale ;
2. correspond à la complication ;
3. correspond aux actions ;
4. correspond à la résolution ;
5. correspond à la situation finale.
D’autre part, un texte peut être formé de plusieurs types de textes de même nature (tous narratifs). Habituellement, ces types de textes (les séquences de JeanMichel Adam) peuvent se suivre linéairement et être coordonnés entre eux. C est le cas du Cinquième voyage de Sinbad tiré des Mille et une nuits. Ou encore les types de textes s’imbriquent les uns dans les auWes. C’est le cas des Mille et une nuits dans son entier.
Enfin, on peut trouver des textes formés de plusieurs types de textes. Dans ce dernier cas, il y a toujours une dominance d’un type de textes. Le type argumentatif domine l’éditorial, la lettre d’opinion. Le type descriptif domine dans le portrait, dans de nombreux articles d’encyclopédies, mais on peut aussi le trouver dans l’éditorial ou dans l’essai. Le type narratif domine dans le récit d’aventures, dans le conte,mais aussi dans le fait divers. Le type explicatif domine dans l’article de vulgarisation scientifique, dans le manuel scolaire (voir Suzanne-G. Chartrand dans ce numéro). Le type dialogal domine dans la pièce de théâtre, l’entrevue, etc.2 . Les types de textes doivent être mis en relation avec les genres de textes (conte, nouvelle, roman, fait divers, editorial, etc.) Les textes formés de plusieurs passages de types pourraient faire l’objet d’observations tant au niveau des caractéristiques du type dominant qu’au niveau des indices qui marquent l’insertion de passages d’un autre type. Il est aussi essentiel de comprendre le rôle joué par 1 ‘ insertion d’un type de textes dans une structure dominante. Somme toute, cette approche permet d’aborder une diversité de textes simples et surtout complexes qui sont en fait les textes que les élèves rencontrent dans leurs pratiques de lecture courantes.
LES TYPES DE TEXTES
Depuis le début de l’article, on dit que Jean-Michel Adam a retenu cinq types de texte prototypiques (séquences prototypiques élémentaires, selon ses termes). Le but de cet article n’est pas de s’attarder à ce choix, mais de voir l’intérêt didactique que peut avoir cette approche dans les pratiques de lecture et d’écriture des élèves du secondaire. Avant d’y arriver, plusieurs se demandent peut-être ce que sont ces types de textes. Vous comprendrez qu ‘ on ne peut en quelques pages s’arrêter sur chaque type de texte de façon détaillée. On ne fera qu’en donner une définition extrêmement brève, car de toutes façons, tous les enseignants connaissent déjà assez bien ces structures. Pour une définition beaucoup plus dé- taillée de chacun des types de textes, on peut se référer au livre de Jean-Michel Adam (1992).
Le type narratif
Le type narratif est une structure en cinq étapes : situation initiale, complication, actions, résolution et situation finale.
Les principales caractéristiques textuelles qui distinguent le type narratif sont la présence d’au moins un personnage qui pose un certain nombre d’actions dans le temps et dans l’espace. Ces actions sont en relation de cause-conséquence et se situent dans un début, un milieu et une fin.
Le type descriptif
Le type descriptif est une structure où un sujet est posé. Le sujet de la description peut être un objet, un être, un événement, une situation, un concept, une procédure, un fonctionnement. Le type descriptif tel que défini par Adam déborde de la description traditionnelle de personnages ou de lieux. On peut décrire le sujet en nommant ses propriétés, ses qualités et ses parties (on peut aussi nommer les propriétés et les qualités des parties). On peut aussi décrire le thème par l’opération de mise en relation. Cette mise en relation consiste d’une part à situer le thème dans le temps, dans l’espace ou en fonction d’autres objets. D’autre part, la mise en relation peut être d’ordre stylistique si on décrit le thème au moyen de comparaisons ou de métaphores.
Les principales caractéristiques linguistiques concernent les substituts, les reprises, le vocabulaire connotatif ou dénotatif en rapport avec le thème.
Le type explicatif
Le type explicatif est une structure où il y a une phase de questionnement ; suivent une phase explicative et enfin, quelquefois une phase conclusive ‘. (Voir Suzanne-G. Chartrand dans ce numéro.)
Les principales caractéristiques textuelles sont la présence de titres, de sous-titres, d’organisateurs textuels, d’explications en « parce que », d’un vocabulaire conceptualisé et d’un renforcement interphrastique.
Le type argumentatif
Le type argumentatif est une structure où une thèse est formulée ; suivent une phase argumentative appuyée par des arguments et une phase conclusive
Les principales caractéristiques linguistiques sont la présence d’articulations d’énoncés qui sont rendus explicites par des marqueurs de relation et d’organisateurs textuels, la présence de discours rapportés et de marques de modalités .
Le type dialogal
Le type dialogal est une structure où il y a une phase d’ouverture, suivent le corps de l’interaction et enfin la phase de clôture. On trouve aussi, dans le type dialogal, le monologue, la conversation entre plusieurs personnes.
Les principales caractéristiques linguistiques sont : la présence de verbes annonçant la prise de parole, de signes de ponctuation spécifiques : les deux points, les guillemets, le tiret.
L’INTERET DIDACTIQUE
Au début de l’article, on disait que le programme de 1980 laissait quelques questions en suspens. Est-ce que cette approche typologique permet d’y répondre ? Comparons le fonctionnement des deux textes suivants, considérés comme de type descriptif. Qu’ont-ils en commun ?
LA GRENOUILLE
Sa couleur générale varie du vert au brun avec des taches noires. Le ventre est blanc. Le corps, court et trapu, mesure de 5 à 9 centimètres. La tête, très développée, porte deux gros yeux saillants à pupille noire et iris doré, protégés par des paupières. Une tache ronde placée en arrière de l’œil correspond à l’oreille. A l’extrémité du museau s’ouvrent les narines. La bouche est très largement fendue. (Texte adapté d’un manuel de sciences)
LA CASQUETTE DE CHARLES BOVARY
Ovoïde et renflée de baleines, elle commençait par trois boudins circulaires ; puis s’alternaient, séparés par une bande rouge, des losanges de velours et de poil de lapin ; venait ensuite une façon de sac qui se terminait par un polygone cartonné, couvert d’une broderie en soutache compliquée et d’où pendait, au bout d’un long cordon trop mince, un petit croisillon de fils d’or, en manière de gland. Elle était neuve ; la visière brillait. (Extrait du roman de Gustave Flaubert, Madame Bovary) En regardant ces deux textes, on fera observer que même si le sujet de la description n’est pas le même, l’organisation textuelle se développe d’une façon semblable : sujet-propriétés-qualités-parties, etc. Cette organisation textuelle pourrait se trouver dans des lettres d’opinion, dans des faits divers, dans des articles d’encyclopédies, dans des romans, etc.
Pour ce qui est d’une autre question posée en début d’article, on pourrait faire observer que dans des textes, on peut exprimer des émotions, des sentiments autant dans un texte personnel qu’à travers les actions ou les pensées d’un personnage de roman. Comparons les deux textes suivants. Qu’ont-ils en commun et qu’ont-ils de différent ?
TEXTE I
J’étais couché, apeuré, la tête sur l’oreiller, à l’écoute. Tendu, crispé dans le noir, j’entendais des pas feutrés qui, de loin, s’amenaient, plus rapides, plus près, résonnants, creux. Boum, boum, boum. Le méchant homme s’approchait de plus en plus vite. Je n’osais plus ouvrir les yeux. Immobile, terré, épouvanté, la peur était ma seule compagne.
TEXTE II
Pierre était couché, enfant apeuré, la tête sur l’oreiller, à l’écoute. Tendu, crispé dans le noir, il entendait des pas feutrés qui, de loin, s’amenaient, plus rapides, plus près, résonnants, creux. Boum, boum, boum. Le méchant homme s’approchait vers lui déplus en plus vite. Il n’osait plus ouvrir les yeux. Immobile, terré, épouvanté, la peur était sa seule compagne.
(Pierre Ferland, Journal inédit
Dans le texte II, on pourrait définir ce passage comme une description expressive dans un texte de fiction. Le texte I pourrait faire partie de ce qu’on nomme un « texte expressif » non fictionnel défini par le programme de 1980. JeanMichel Adam a déjà dit qu’il n’existait pas de textes expressifs mais plutôt des « moyens » pour exprimer des sentiments, des émotions. Par exemple, on pourrait utiliser le texte de type descriptif expressif dans un portrait, dans un poème (pensons au Vaisseau d’or d’Emile Nelligan), dans un récit, etc. On croirait que le « texte expressif » est limité à ces textes où je, me, moi, j’exprime mes sentiments, mes émotions à propos d’un événement ? Laissons les élèves exprimer leurs émotions, leurs sentiments dans des poèmes à travers les sentiments, les émotions d’un personnage fictif. Peut-être trouveront-ils les sentiments, les émotions qu’ils veulent exprimer.
Autre question : on sait que l’on peut essayer de convaincre des personnes « réelles » par une argumentation bien construite, mais est-ce qu’un personnage fictif peut essayer de convaincre un autre personnage de la même façon ? Bien sûr. Pensons à cet avocat de la défense, dans un roman policier, qui par son plaidoyer, veut convaincre le jury de l’innocence de son client. Pensons à Sanders, cet homme, victime d’harcèlement, qui veut convaincre son épouse qu’il ne l’a pas trompée. Adam répond que convaincre une personne réelle ou un personnage de roman se fait de la même façon. Ce genre de relation que l’on peut observer à travers différents textes permettrait à plusieurs élèves de développer leurs compétences à plus d’un niveau. Par ces propos, je ne crois pas faire découvrir d’éléments nouveaux. Je voulais montrer que l’approche de Jean-Michel Adam nous éclaire à bien des points de vue.
Les recherches en psychologie cognitive, en ce qui a trait à la compréhension et à la production de textes, arrivent à des conclusions intéressantes. « La maîtrise de représentations schématiques prototypiques, qu’on les appelle types de textes ou séquences élémentaires, élaborées progressivement par les sujets apprenants au cours de leur développement, semble avoir des conséquences sur le stockage des informations traitées en cours de compréhension et de production de textes » (Adam, 1992). Chaque type de textes élémentaire peut être décrit, théorisé et enseigné. Ainsi, plus les élèves maîtrisent de représentations schématiques de textes simples et complexes, plus ils ont de la facilité à comprendre un texte ou à en produire.
Pour terminer Comme on l’a vu plus haut, on peut trouver un texte de type descriptif aussi bien dans un roman que dans un article d’encyclopédie : texte appartenant à des genres différents. Le type descriptif dans un roman ou dans un article d’encyclopédie fonctionne de la même façon. Le texte d’opinion que l’on trouve habituellement dans les journaux peut être analysé comme étant dominé par le type argumentatif. Selon la façon dont il a décidé de structurer sa lettre, l’auteur pourrait insérer des textes de type descriptif et/ou dialogal. De cette façon d’analyser les textes, on pourrait tirer la conclusion suivante : tous les textes d’opinion que l’on lit ou que l’on fait lire ne sont pas structurés de la même façon et ne sont pas du même type, leur structure est souvent hétérogène au plan de la composition. Peut-on imaginer un texte d’opinion débutant par un récit ? Le classement que propose Jean-Michel Adam permettrait aux élèves d’analyser diffé- rents types de structures de textes d’opinion et d’en écrire à leur tour en imitant celles qu’ ils auraient étudiées en lecture. Il faut présenter une diversité de textes aux élèves, par exemple un récit, et leur faire observer qu ‘ il y a des séquences de textes qui ne font pas partie du type narratif. Ainsi pourront-ils découvrir que tel passage est descriptif, tel autre dialogal et tel autre explicatif. Dans le cas d’un editorial, on pourrait leur faire observer qu’il y a des séquences de textes qui ne font pas partie du type argumentatif. Ils découvriront que tel passage est narratif, tel autre descriptif, tel autre… Quelles belles perspectives avons-nous devant nous ! Et surtout quelles fantastiques ouvertures sur le monde pourrons-nous offrir à nos élèves !
8 septembre 2016
06.Supports éducatifs, Texte conversationnel, Texte descriptif, Texte informatif