Bibliogr. p. 449-465. Index p. 467-472.
ISBN 2-86434-011-9 : 180 F.
L’éducation scolaire, la place et la pratique de l’image, l’acte de lire et d’écrire sont ici explorés par Bruno Duborgel dans une optique qui diffère fondamentalement de celle de nombreuses études antérieures.
Tandis que la valeur repère, la valeur étalon est en général la puissance d’apprentissage et la rationalisation du monde proposé aux enfants, tandis que la pratique du dessin est d’ordinaire entraînée dans une direction d’organisation de l’espace en vue du commencement de l’écriture. et que les images doivent servir à la sécurisation de l’enfant, Duborgel propose comme valeur et comme nécessité la reconnaissance et la culture de l’imaginaire enfantin, de la rêverie au sens bachelardien du terme, qui est un véritable pouvoir de représentation onirique du monde. Il faut dans les livres des mondes originaux créés par de multiples illustrateurs et non un monde unique et stérilisé, de vraies images, même à l’école, et pas seulement pour les tout-petits : pourquoi cette obstination à soustraire peu à peu l’image des livres d’enfants pour aboutir au texte-roi, comme si l’image n’était qu’un passage forcé et suspect ?
En effet, le livre pour enfants, scolaire ou non-scolaire, est le plus communément jaugé selon un critère de base qui passe avant tous les autres : qu’est ce que l’enfant va « tirer » du livre, le texte et les images sont-ils clairs et simples, reflètent-ils bien l’environnement de l’enfant selon les critères de lisibilité optimale et de sécurisation édifiante… ?
Duborgel montre précisément comment l’enfant, dès son plus jeune âge, est placé sur les rails de la rationalisation, du positivisme pédagogique clairement exprimé dans les préfaces des livres scolaires, soutenu par quantité d’éditeurs et de parents; les abécédaires et imagiers les plus courants vont dans ce sens ainsi que le concept « d’étapes » et de progression dans les lectures des enfants, progression qui va de pair avec ce que l’auteur appelle les « sevr-âges » de l’imaginaire débutant dès la maternelle.
Après une description et une analyse précises de l’iconoclasme (domestication réductrice de l’imagination, modes de canalisation de l’imaginaire enfantin, présence/absence et pratique des images en milieu scolaire), Duborgel examine les ouvrages de psycho-pédagogie pour rechercher le statut de l’imagination à l’école, les réactions qu’elle suscite, les traitements institués qu’elle doit appeler; il scrute également les textes officiels et les réponses à une enquête effectuée auprès des instituteurs pour bien situer l’attitude des maîtres vis-à-vis de l’imagination enfantine.
Cet iconoclasme scolaire est à replacer dans un contexte culturel général et dans un déroulement historique exposé d’une façon synthétique et éclairante, mis en relation avec l’évolution pédagogique en France et les doctrines qui en furent les moteurs, une large place revenant à Auguste Comte qui oppose la tendance « fabulatrice, mythologisante, imaginante » à la mission d’éducation positiviste et civilisatrice adulte.
S’appuyant sur l’imagination platonicienne et baudelairienne, l’auteur nous conduit vers une définition de « l’Homo symbolicus », et par là aux propositions pour une réelle éducation de l’imaginaire qui renvoie dos à dos autant l’habituelle pratique iconoclaste qu’un non-interventionnisme béat devant l’enfant : cette éducation rendrait toute leur importance aux images, au langage des mythes, à « l’épaisseur glauque » des contes, en bannissant le « trajet du lire » actuellement pratiqué à l’école, en reconstruisant un Musée imaginaire.
Duborgel en appelle à un « nouvel esprit pédagogique » en se référant à l’œuvre de Bachelard; la raison et l’imagination doivent être toutes deux reconnues dans leur spécificité, leur indépendance, leur irréductibilité.
Une importante bibliographie et un index des noms cités complètent cette recherche passionnante qui ne peut être absente aujourd’hui d’une réflexion menée autour de l’enfant en tant qu’objet et sujet culturels.
17 avril 2015
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