Mise au point concernant le processus à l’œuvre chez la personne compétente
Bernard Rey
Ce document sera utile à tous, mais tout particulièrement aux formateurs qui ont déjà suivi, dans le passé, des formations à l’approche par les compétences. On y trouvera, en effet, l’indication des nouveautés apportées par les recherches récentes et des quelques modifications qu’elles introduisent.
1) Ce qui ne change pas :
Pour qu’une personne soit compétente dans un domaine, il faut :
- qu’elle possède différentes «ressources»,
- qu’elle soit capable de mobiliser celles qui conviennent pour répondre à des situations ou accomplir des tâches qui à la fois relèvent du même domaine et sont cependant toujours quelque peu différentes les unes des autres.
2) Ce qui change :
- A propos des ressources :
Dans le passé, beaucoup de formateurs à l’approche par compétences disaient que les ressources étaient constituées de :
- savoirs (ou connaissances)
- savoir-faire (ou procédures)
- attitudes (ou savoir-être)
Sur la base des recherches actuelles, on considère que les ressources peuvent être des savoirs ou des savoir-faire (procédures), mais non pas des attitudes. Celles-ci sont bien présentes et actives dans le processus de l’action compétente, mais n’interviennent pas exactement en tant que ressources (voir plus loin).
- A propos de la mobilisation
Comme dans le passé, les chercheurs continuent à considérer que la «mobilisation» est l’acte par lequel l’individu compétent sélectionne, parmi ses ressources, celles qui conviennent à la tâche ou à la situation.
Les tâches pour lesquelles l’élève doit mobiliser certaines de ses ressources peuvent s’appeler «situation d’intégration» ou «tâche nouvelle et complexe». Evitez de les appeler «situation-problème», car ce terme désigne, au sens strict, une tache d’apprentissage destiné à ce que les élèves voient que certaines de leurs représentations préalables sont fausses.
D’autre part, on ajoute désormais un élément important : pour que la personne sélectionne correctement les ressources qui conviennent à une tâche ou une situation, il faut qu’elle interprète correctement cette tâche ou situation.
Interpréter une tâche ou une situation, c’est sélectionner certains de ses éléments et négliger les autres.
On peut interpréter une situation de différentes manières :
Par exemple :
ü Face à un paysage, un promeneur sélectionnera le fait que le paysage est beau ou non, le fait qu’il est agréable ou non de s’y promener, que la marche y est plus ou moins difficile, que l’endroit est ensoleillé ou ombragé, etc.
ü Face au même paysage, l’agriculteur sélectionnera d’autres aspects : le fait que la terre est plus ou moins fertile, que l’endroit est plus ou moins bien irrigué, que la végétation permet d’élever tel type de bétail, etc.
ü Face au même paysage encore, le géologue sélectionnera le fait qu’il s’agit d’une plaine, d’un plateau ou d’une montagne, que la roche est magmatique, sédimentaire ou métamorphique ou de toute autre nature, qu’on a affaire à un relief karstique ou autre, etc.
Sur cet exemple on voit :
- que le promeneur interprète la situation en fonction de ses impressions et de son plaisir.
- que l’agriculteur interprète la situation en fonction d’intérêts pratiques (comment tirer parti de cet endroit par l’élevage ou la plantation).
- que le géologue interprète la situation en fonction d’un savoir (la géologie) et des concepts propres à ce savoir (plaine, plateau, type de roche, type de relief).
Chacun des trois a une attitude qui lui est propre. Cela signifie que chacun choisit un angle de vue, correspondant à une valeur. Pour le promeneur, la valeur est le plaisir. Pour l’agriculteur, la valeur est l’efficacité. Pour le géologue, la valeur est la compréhension rationnelle et la vérité.
A l’école, on attend de l’élève qu’il interprète les situations avec une attitude particulière qui comporte les caractéristiques suivantes :
- aborder la situation non pas avec son impression personnelle ou son opinion, non pas directement en vue de l’utilité pratique, mais en vue de la comprendre rationnellement en se servant des savoirs qu’on a appris à l’école,
- vouloir comprendre la situation par soi-même : il ne suffit pas d’être docile et de chercher à répéter ce qu’on a appris,
- formuler la réponse de façon à ce qu’elle puisse être comprise par tout le monde, même par les personnes qui n’ont pas vécu la situation.
On voit donc que, par rapport à la compétence, l’attitude n’est pas une ressource, mais qu’elle est le choix qui guide l’interprétation de la situation ou de la tâche.
Résumé du processus à l’œuvre chez un élève compétent dans un domaine scolaire :
1. L’élève possède des ressources (connaissances et savoir-faire) correspondant à un domaine).
2. Il est confronté à une situation ou une tâche relevant de ce domaine.
Mais cette situation ou cette tâche est nouvelle pour lui.
3. Il interprète la situation en adoptant une attitude de compréhension rationnelle, c’est-à-dire en choisissant d’interpréter la situation,
ü non pas en fonction de l’opinion courante, ni de ses impressions personnelles, ni de son expérience subjective, ni de l’utilité pratique, mais en se servant des savoirs scolaires,
ü non pas en essayant d’être docile à ce qu’on lui a fait apprendre, mais en réfléchissant par lui-même à la situation.
4. En fonction de cette interprétation de la situation, il peut sélectionner, parmi les connaissances et les procédures qu’il connaît, celles qui sont utiles pour accomplir la tâche ou faire face à la situation.
5. Il formule sa réponse sous une forme compréhensible par tout le monde et non pas seulement par ceux qui ont vécu la situation.
6 avril 2015
13. Tlemcen, Bernard Rey