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La notion de compétence et ses avatars dans le monde scolaire Bernard REY Université Libre de Bruxelles

6 avril 2015

Bernard Rey

fichier pdf article Rey pour Université de Montpellier 2007

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La notion de compétence et ses avatars
dans le monde scolaire
Bernard REY
Université Libre de Bruxelles
Dans des pays de plus en plus nombreux, c’est désormais en termes de compétences qu’est défini ce que l’école doit faire acquérir : Québec, Belgique francophone, Portugal, France, certains cantons suisses, etc. Le mouvement va certainement s’amplifier puisqu’une recommandation du Parlement Européen (de fin 2006) propose aux pays membres d’adopter un référentiel de « compétences-clés » destiné à l’apprentissage « tout au long de la vie ».
Il ne faut pas sous-estimer cet évènement : il pourrait constituer, du moins à première vue, une transformation de ce que la société décide de transmettre aux jeunes générations. Il n’est pas étonnant dès lors que l’introduction de cette notion donne lieu, dans certains pays, à des débats souvent passionnés (c’est le cas, typiquement, au Québec).
Une des nombreuses critiques qui sont faites à cette notion consiste à relever son caractère confus, imprécis et polysémique. Difficile de réfuter cet argument ; qu’on en juge par les exemples suivants : « Savoir prendre des initiatives », « savoir lire des textes variés », « connaître les gestes de premier secours », « choisir et utiliser avec pertinence le calcul mental, le calcul écrit ou la calculatrice en fonction de la situation », « connaître le fonctionnement d’une entreprise », « émettre des hypothèses ». Ce bref florilège suffit à montrer le caractère hétéroclite des réalités que le terme peut recouvrir dans les référentiels qui apparaissent aujourd’hui et à laisser entrevoir l’intérêt très inégal qu’on peut trouver à ces divers usages.
Si l’on veut prendre position d’une manière informée dans les débats qui entourent cette notion, il convient d’élucider cette pluralité de sens. C’est ce travail que nous tenterons d’amorcer dans les lignes qui suivent, en nous bornant aux usages de la notion de compétence qu’on rencontre dans l’univers scolaire.
Les compétences générales
Ce qui frappe, lorsqu’on parcourt les référentiels scolaires de compétences, c’est qu’on y trouve à la fois des formulations qui renvoient à des opérations étroitement circonscrites telles que « savoir mesurer un angle » ou « utiliser les principales règles d’orthographe lexicale et grammaticale » et d’autres qui évoquent un champ d’application beaucoup plus large, voire indéfini, telles que « définir une démarche adaptée à un projet » ou « exploiter l’information ».
Dans les deux premiers exemples, l’action qu’évoque la compétence renvoie à des contextes précis (géométrie, écriture de textes) et porte sur des objets identifiables : angles, graphies des mots. Dans les deux derniers au contraire, on trouve plutôt l’indication d’une forme générale d’action qui peut s’exercer dans des situations totalement ouvertes et sur des objets non précisés (on peut envisager une infinité de types de « projets » ou « d’informations »). Il en va de même avec des compétences telles que « savoir observer », « formuler une hypothèse », « savoir résoudre des problèmes », « prendre des initiatives », « exercer son jugement critique ».
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A première vue, les compétences ainsi formulées semblent, du fait de leur caractère génératif, beaucoup plus fécondes que celles qui sont étroitement circonscrites. Elles répondent à ce qui pourrait bien être une des préoccupations qui ont présidé à l’adoption de l’approche par compétences. Ce souci consiste à vouloir échapper à la pléthore des savoirs. Puisque les connaissances augmentent sans cesse et puisque l’école ne saurait aujourd’hui revendiquer le monopole de leur diffusion, l’enseignement devrait viser à faire acquérir, plutôt qu’une quantité indéfinie de savoirs, une puissance de savoir. Il s’agirait de construire, en chaque élève, quelques grands instruments intellectuels qui lui permettraient ensuite d’accéder par lui-même, « tout au long de la vie » aux savoirs dont il aurait besoin. Ce sont ces instruments qu’on nommerait « compétences ». Dans cette optique, la notion de compétence est convoquée à mettre en oeuvre l’interprétation qu’on fait souvent de la célèbre formule de Montaigne, selon laquelle il faudrait préférer une « tête bien faite » à une « tête bien pleine ». C’est sans doute une préoccupation comparable que l’on retrouve dans l’exigence « d’apprendre à apprendre ».
Un tel souci n’est évidemment pas dépourvu d’intérêt ni de légitimité. Mais il implique une conception particulière de ce qu’est une « compétence ». Il suppose qu’on puisse construire des compétences capables d’être mises en oeuvre dans des situations et sur des objets très différents les uns des autres. Autrement dit, il faut concevoir la compétence comme une démarche ou une opération mentale indépendante des contenus sur lesquels elle peut s’exercer. .
Or cette conception de la compétence apparaît comme très incertaine : il n’est pas certain qu’il existe une compétence à traiter l’information qui reste identique à elle-même quel que soit le type d’information sur laquelle elle s’exerce. De même il paraît assez clair qu’il ne puisse exister une démarche unique de résolution de problème qui puisse s’appliquer à la diversité des situations que le terme « problème » recouvre. Parler, par conséquent, d’une « compétence à résoudre des problèmes », c’est désigner quelque chose qui n’existe pas. Pour une critique complète de cette conception, on peut consulter Rey (1996).
L’idée d’une méthode générale qui permettrait de tout appréhender et qui serait fondée sur une clôture de l’expérience humaine est un vieux rêve philosophique dont on ne voit guère comment on pourrait le rendre opérationnel au sein des apprentissages scolaires. Ainsi prescrire à l’école de faire acquérir de telles compétences qui ne renvoient pas à une catégorie spécifiée de situations et d’objets et qu’on appelle parfois « générales » ou « transversales » ne semble pas offrir un programme scolairement efficace.
Les compétences spécifiques
Mais, nous l’avons déjà dit, on trouve dans les référentiels, à côté de ces compétences générales, des compétences dont la formulation réfère à des objets identifiables et à des contextes circonscrits, et que pour cette raison nous appellerons compétences « spécifiques ». Ainsi en va-t-il d’énoncés tels que : « maîtriser de manière automatisée les tables de multiplications », « mesurer une longueur, un angle, une durée », « [dans l’écriture d’un texte] adapter le propos au destinataire et à l’effet recherché », « utiliser les principales règles d’orthographe », « savoir quand et comment utiliser les opérations [arithmétiques] élémentaires », « situer dans l’espace un lieu ou un ensemble géographique, en utilisant des cartes à différentes échelles ». Ces exemples sont tirés soit du Socle commun des connaissances et des compétences, récemment institué en France, soit des grilles de références nationales qui le prolongent et préparent l’élaboration des livrets d’évaluation de compétences.
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Il semble qu’avec des exemples de ce type, on puisse voir assez précisément le type d’actions qu’il s’agit de faire acquérir par les élèves. Cette détermination devrait permettre, du moins en première approximation, d’envisager des dispositifs définis aussi bien pour les faire acquérir que pour les évaluer.
Toutefois, dans les quelques exemples que nous venons de donner, on peut saisir des différences qui vont nous amener à établir une distinction au sein même de cette catégorie des compétences spécifiques.
Certaines d’entre elles consistent en opérations relativement standardisées et qui peuvent être automatisées par les élèves : à force d’entraînement, il est possible d’obtenir d’un élève qu’il donne un résultat issu de la table de multiplication, qu’il accorde le verbe avec le sujet, qu’il mesure un angle, qu’il effectue une soustraction, etc., et cela lorsqu’on le lui demande explicitement. Bien entendu, de tels apprentissages ne sont pas exempts de difficultés pour certains élèves, mais ils ne rencontrent pas d’obstacles majeurs en ce qu’il s’agit toujours d’exécuter une opération en réponse à un signal. Il en va de même lorsqu’il s’agit d’exécuter une série prédéterminée d’opérations ou encore un algorithme, comme c’est le cas par exemple dans la compétence à effectuer des additions ou soustractions de fractions (lesquelles peuvent exiger le détour par la réduction au même dénominateur). On a affaire, dans tous ces cas, à des compétences qui ne sont, en réalité, que des activations de procédures en réponse à des signaux.
En revanche, d’autres exemples de compétences également spécifiques évoquent des démarches moins automatiques. Ainsi la compétence à « savoir quand et comment utiliser les opérations arithmétiques élémentaires » n’exige pas seulement que les élèves sachent effectuer une addition, une soustraction, une multiplication, etc., à la demande, mais aussi qu’ils soient capables de déterminer, dans une situation nouvelle, laquelle ou lesquelles de ces opérations sont pertinentes.
De même, lorsqu’il est question de savoir « utiliser les principales règles d’orthographe lexicale et grammaticale », on ne s’attend pas seulement à ce que l’élève connaisse telle ou telle règle ni à ce qu’il l’applique quand on le lui demande. On veut qu’il soit capable de mettre en oeuvre, de sa propre initiative, les règles qui conviennent à ce qu’il est en train d’écrire.
Dans le même sens, on trouve dans les grilles de référence élaborées en rapport avec le Socle commun des connaissances et compétences, l’énoncé suivant (prévu pour le collège) : « Produire un texte organisé (récit ou autre) d’une ou deux pages qui utilise de façon cohérente les substituts du nom, les connecteurs spatio-temporels et les temps verbaux ». Comme les précédentes, cette compétence comporte deux types d’éléments : d’une part, il faut que l’élève connaisse les pronoms ainsi que les règles qui les font correspondre avec les noms, qu’il connaisse les adverbes et conjonctions qui permettent d’indiquer les relations dans le temps et l’espace, etc. Mais cela ne suffit pas ; il faut en outre qu’il soit capable de choisir et d’agencer, parmi ces outils langagiers, ceux qui conviennent au texte qu’il écrit et qui vont lui donner cohérence.
Ainsi on rencontre, dans les référentiels, de nombreuses compétences qui, bien que relevant d’un domaine spécifié, renvoient à un ensemble ouvert de situations : l’ensemble des situations dans lesquelles il est opportun d’effectuer une soustraction est à la fois spécifique et ouvert, de même que l’est l’ensemble des situations d’expression écrite dans lequel il est pertinent d’utiliser une proposition relative.
Autrement dit, parmi les compétences que nous avons appelées « spécifiques », il y a lieu de distinguer entre les « procédures », qui sont des opérations stéréotypées et susceptibles d’être
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automatisées et les compétences plus ambitieuses qui consistent à choisir, parmi les procédures que l’individu possède, celles qui conviennent à une situation inédite. Ces dernières exigent non seulement la maîtrise de procédures, mais la capacité à les mobiliser à bon escient. Ce sont elles qui méritent pleinement le nom de compétence et la plupart des chercheurs qui ont travaillé sur cette question sont d’accord pour dire que ce qui caractérise une authentique compétence, c’est la capacité de mobilisation des acquis.
Comment enseigner le « bon escient » ?
Ces compétences avec mobilisation sont, de loin, les plus nombreuses dans les référentiels scolaires, comme on peut le repérer par la fréquence d’expressions telles que : « qui convient », « à bon escient », « pertinent », « en fonction de… », « approprié », etc. Dans le référentiel qui vient d’être établi pour la scolarité obligatoire en France, une indication explicite souligne cette importance de la mobilisation : « Maîtriser le Socle commun, c’est être capable de mobiliser ses acquis dans des tâches et des situations complexes ».
Reste alors la question de savoir comment on peut faire acquérir de telles compétences. Car si la tradition scolaire parvient à faire acquérir des procédures au moyen d’un entraînement systématique, il n’est pas certain qu’elle ait élaboré des dispositifs didactiques qui soient clairement dédiés à faire acquérir la capacité à mobiliser ces procédures dans des situations relativement nouvelles et complexes. Tout enseignant espère que ses élèves seront capables, au moyen de ce qu’il leur aura fait apprendre, de s’affronter à des situations et des tâches différentes de celles auxquelles il les a entraînés. Et sans doute, certains élèves arrivent à saisir par eux-mêmes quand l’usage d’une procédure est pertinent ; mais d’autres, en nombre significatif, n’y arrivent pas. Comment dès lors enseigner le « bon escient » ?
Une piste semblait avoir été ouverte dans les années 1990 (Meirieu et Develay, 1992), qui consistait à faire appréhender par des élèves des « familles de situation ». Chaque fois qu’un enseignant entraînait ses élèves à une nouvelle procédure, il semblait opportun qu’il leur indique la famille de situations dans laquelle cette procédure devait être mise en oeuvre. Par exemple, le théorème de Pythagore peut ouvrir à une procédure qui est pertinente pour une famille de situations géométriques qu’il est tout à fait possible d’indiquer aux élèves : chaque fois que l’on a un triangle rectangle et que l’on connaît la mesure de deux de ses côtés, le théorème de Pythagore permet de calculer la mesure du troisième.
Une telle précaution didactique est certainement utile et des auteurs comme Roegiers (2001) et Beckers (2002) considèrent que la détermination de familles de situations constituent le prolongement indispensable de l’approche par compétences.
Pour notre part, nous ne sommes pas aussi optimiste (cf. Rey, Carette, Defrance et Kahn, 2003, p. 129 sqq.). La délimitation de la famille de situations dans laquelle une procédure donnée est pertinente est souvent difficile, notamment lorsqu’on sort du champ des mathématiques. En outre, même en mathématiques, un élève qui a bien saisi la famille de situations correspondant à une compétence n’est pas toujours capable, pour autant, de reconnaître qu’une situation qu’il rencontre pour la première fois relève de cette famille. Par exemple, des élèves pourront avoir bien saisi l’usage qu’on peut faire du théorème de Pythagore dans la famille de situations où on doit trouver la mesure d’un côté d’un triangle rectangle dont on connaît les deux autres. Ils ne seront pas par là tous capable de voir que le calcul du côté d’un carré dont on connaît la diagonale relève de cette même famille.
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On voit sur cet exemple que la compétence comporte, au sein même de l’acte de mobilisation, un moment spécifique qui est l’exploration et l’interprétation de la situation. Pour pouvoir choisir et combiner les procédures qui conviennent à une situation nouvelle pour lui, l’élève doit d’abord lire cette situation et y repérer les traits qui lui indiqueront quelles procédures mobiliser. Et cette tâche est loin d’aller de soi pour beaucoup d’élèves.
Comment donc préparer les élèves à mobiliser à bon escient les procédures qu’ils connaissent dans des situations inédites et éventuellement complexes (au sens où elles exigent l’agencement d’une pluralité de procédures) ? Nous devons avouer que, dans l’état actuel des recherches, nous ne le savons guère. Toutefois, nous pouvons au moins affirmer qu’un élève, pour accomplir une tâche inédite et complexe, doit maîtriser les procédures indispensables à la réalisation de cette tâche. Les travaux empiriques effectués sur environ 3000 élèves du primaire (cf. Rey et al., 2003) nous permettent en outre d’avancer que les élèves qui affrontent régulièrement en classe des tâches inédites et complexes ont plus de facilité à en aborder de nouvelles.
En revanche, nous n’avons guère de connaissance précise sur les mécanismes par lesquels un élève est capable ou non de repérer dans une situation inédite les caractères pertinents qui vont permettre de choisir les procédures qui conviennent.
L’interprétation des situations
A vrai dire, le problème est compliqué et même déplacé par le fait qu’il n’est pas certain qu’on puisse, d’une manière absolue, décider des traits pertinents d’une situation. Il n’est pas sûr qu’il y existe objectivement des traits pertinents et qu’il existe une unique interprétation de la situation que l’on pourrait tenir pour vraie.
Ce qui apparaît plutôt lorsqu’on analyse les réponses des élèves à des exercices scolaires, c’est que chacun repère, dans la situation proposée, certaines des caractéristiques qui lui paraissent essentielles en fonction de ses préoccupations et de ses projets, et il néglige les autres. Plus encore, chaque élève délimite, dans le continuum spatio-temporel de sa vie, un segment qui devient pour lui « la situation ». Autrement dit, une situation est toujours construite et cadrée par chaque individu et la construction que font certains élèves peut être fort différente de celle qu’opèrent l’enseignant et les élèves considérés comme scolairement performants.
A titre d’exemple, dans une classe de CE1, le maître propose le petit problème suivant : « Victor possède 9 Euro ; il veut acheter un livre qui coûte 13 Euro. Combien doit-il demander à ses parents pour faire son achat ? » Ce problème, si modeste soit-il, implique, pour les enfants de ce niveau de scolarité, une authentique compétence : l’élève ne doit pas seulement maîtriser la procédure de la soustraction. Il doit en outre interpréter la situation afin de déterminer que c’est la soustraction qui est, ici, la procédure pertinente. Même si un tel repérage est immédiat pour les adultes, il n’est pas facile pour les jeunes élèves, à plus forte raison si la soustraction leur a été présentée comme une opération qui consiste à retrancher d’une collection d’objets certains d’entre eux. Or certains élèves ne « voient » pas la situation évoquée par l’énoncé du problème de la même manière que l’enseignant. Ainsi nous avons observé une élève qui proposait à ce problème la solution suivante : « Victor va demander à sa maman ». Comme nous lui faisions remarquer qu’elle ne faisait là que répéter le contenu de l’énoncé et que la question était de savoir combien elle allait demander à sa mère, elle insistait en répétant « il va demander à sa maman ». Après quelques instants de quiproquo, il s’avérait qu’aux yeux de cette petite élève, Victor devait demander à sa mère combien il convenait d’ajouter à ce qu’il possèdait pour pouvoir faire l’achat désiré. Dans la construction de la
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situation que l’élève effectuait, la demande à la mère devait porter aussi bien sur l’attribution de la somme indispensable que sur le montant de cette somme. Et certainement, dans les conditions réelles de la vie, lorsqu’un enfant de sept ans demande à l’un de ses parents de lui donner de l’argent pour acheter un objet, il ne précise pas la somme dont il a besoin et c’est l’adulte qui la détermine après avoir pris connaissance du prix de l’objet et de ce que l’enfant détient.
Ainsi le cadrage opérée par la petite élève est tout à fait différent de celui qu’avait prévu l’enseignant. Ce dernier circonscrit la situation au traitement mathématique que l’on peut en faire, alors que la cadrage de l’élève inclut des aspects relationnels et la forme ordinaire que prennent dans notre société la relation entre enfants et parents. Cet écart d’interprétation est d’autant plus problématique que le cadrage proposé par la jeune élève n’est pas aberrant ; il a sa propre légitimité.
Nous ne voulons pas dire par là que tous les cadrages de situations ont égale valeur et que l’école n’aurait guère de légitimité à imposer la forme de cadrage qu’elle exige. L’école a raison de faire acquérir par les élèves le type d’interprétation qu’elle propose, à la fois parce qu’il est, au moins partiellement, appuyé sur des savoirs plutôt que sur le sens commun et parce qu’il est celui qui est valorisé et mis en oeuvre par les groupes sociaux dominants.
Mais le constat de ces interprétations divergentes entre certains élèves et les attentes de l’école a une conséquence importante : Le cadrage que des élèves peuvent avoir des situations scolaires, du fait qu’il n’est pas toujours aberrant et qu’il est porteur de sa propre « logique », n’est pas susceptible de disparaître de lui-même par le simple fait qu’on lui opposera le cadrage que l’école propose et valorise. Il ne suffit pas de le proclamer caduque ou erroné et de déclarer seul légitime celui que l’école et les enseignants imposent. Il serait nécessaire de pouvoir expliciter les règles et les principes qui régissent ce « regard » scolaire sur les situations. Car contrairement à l’illusion dans laquelle les enseignants vivent souvent, il ne va pas de soi, il n’est pas « naturel ».
Ainsi l’approche par compétence a le mérite de focaliser l’attention sur cette question du cadrage ou de l’interprétation des situations. Par là elle nous convoque à tenter de mieux identifier les caractéristiques particulières de ce type de cadrage tout à fait spécial que l’école exige. Qu’est-ce que le regard « instruit » sur les choses et les situations ? Comment mieux cerner ses spécificités de façon à pouvoir les expliciter et les faire partager par tous les élèves ? Comment didactiser ce type de regard ?
Dans l’état actuel de nos travaux, nous sommes pour notre part incapable de répondre à cette question. Mais comme la mission traditionnelle de l’école est de transmettre des savoirs, on peut penser pouvoir trouver, dans l’examen de ce qu’est un savoir, quelques indications sur le cadrage scolaire des situations.
Aussi allons-nous présenter quelques remarques sur le rapport entre savoir et compétence.
Savoirs et compétences : deux réalités incompatibles ?
Parmi les thèmes qui nourrissent le débat autour de l’introduction des compétences à l’école, il y a l’idée que celle-ci remettrait en cause la transmission scolaire des savoirs. Cette idée est à prendre en considération, car un des soucis explicitement attachés, dans plusieurs pays, à l’introduction des compétences dans le monde de l’école est de s’attaquer au désintérêt que manifestent beaucoup d’élèves (adolescents notamment) pour les activités scolaires. C’est au Québec, où le décrochage scolaire des adolescents est massif, que cette intention est la plus explicite. Il s’agit de faire apparaître que tout ce qu’on apprend à l’école est utile ; et comme
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la compétence peut se laisser définir comme la disposition à une action finalisée, elle apparaît comme un moyen de donner une fonctionnalité à ce qu’on apprend.
Mais il y a évidemment plusieurs manières d’envisager cette fonctionnalité. L’une d’elle consiste à vouloir que les apprentissages scolaires engendrent des compétences qui permettent de résoudre des problèmes de la vie extra-scolaire : vie personnelle, vie citoyenne, vie professionnelle. Cette conception entre inévitablement en tension avec l’exigence de développer des savoirs qui n’auraient pas d’autres fonctions que de rendre le monde intelligible. Par exemple en biologie, l’insistance sur des recommandations de diététique, d’hygiène, d’asepsie et de protection contre les maladies transmissibles pourrait se faire au détriment de l’intérêt que comporte les sciences biologiques pour la compréhension des êtres vivants, l’évolution des espèces, etc.
Par suite il convient d’être attentif à la part de compétences extra-scolaires et à celle des compétences intra-scolaires dans les référentiels.
Cette précaution étant prise, il reste un problème qui est de savoir s’il est possible d’articuler la perspective des compétences (mêmes internes aux savoirs) qui renvoient à des actions finalisées, avec des savoirs. Pour notre part, nous pensons que c’est le cas et nous voudrions rapidement suggérer en quoi toute compétence exige du savoir, et en quoi réciproquement tout savoir contient en lui-même des compétences.
Nous l’avons vu, toute compétence authentique exige une interprétation de la situation ou de la tâche ; or une telle interprétation implique l’identification d’objets et de caractéristiques qui, à son tour, exige des concepts. Ceux-ci sont, dans la vie pratique, des concepts du sens commun, inspirés à la fois des savoirs pratiques et des systèmes de valeurs qui ont cours dans nos sociétés. Or il se pourrait bien que l’interprétation des situations que l’école valorise et exige soit celle qui met en jeu des concepts propres aux savoirs scolaires.
Le propre de ces concepts, c’est qu’ils sont issus d’une appréhension du monde construite grâce à des preuves et au moyen d’une méthodologie. Les méthodologies scientifiques sont diverses, mais elles ont toutes en commun l’objectif de dépasser la subjectivité de l’observateur. En outre, ces concepts ne sont pas seulement des catégories qui servent à classer la réalité extérieure. Au sein d’un savoir, ils forment un réseau en ce qu’ils se définissent par leur rapport mutuel. Plus généralement tout savoir se présente comme un texte, c’est-à-dire un ensemble organique d’énoncés dont chacun prend sens, non pas d’abord par référence à une réalité, mais par ses rapports avec les autres énoncés. Il en va de même des termes qui constituent ces énoncés. Ainsi une authentique compétence consiste d’abord à saisir la réalité au moyen d’un corps de concepts qui fait cohérence et le cadrage ainsi constitué est tout à fait différent de celui qu’on effectue au moyen des catégories du sens commun.
Nous voyons apparaître là un nouvel aspect de ce qu’est une compétence : non pas seulement un savoir-agir, mais un savoir-agir qui bénéficie d’une reconnaissance sociale et qui est perçu comme expertise. S’il en est ainsi, c’est parce que la compétence met en jeu une lecture de la réalité différente de celle du sens commun et appuyée sur un système organisé de concepts. Or la compétence est telle parce que l’interprétation des situations dont elle est faite relève de savoirs.
En ce sens, les savoirs s’investissent dans les compétences en ce qu’ils fournissent le système de catégories qui permet d’interpréter les situations d’une manière spécifique. Et c’est cette interprétation qui commande le choix et la combinaison des procédures mises en jeu.
Mais à l’inverse, on ne peut guère imaginer un savoir sans compétences. Celles-ci y apparaissent d’abord sous la forme de procédures : il n’est pas possible de s’approprier un
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savoir sans avoir automatisé un ensemble d’opérations de base (procédures de calcul et de mesures, lecture de cartes, de graphes ou de tableaux, analyse de documents, opérations de transcodage, etc.) et mémorisé des énoncés (définitions, règles, données et résultats remarquables ou fréquemment utilisés, etc.). Ces actes élémentaires que nous appelons procédures doivent être automatisées, faute de quoi elles viendront encombrer le champ attentionnel de celui qui cherche à comprendre le savoir.
Mais les compétences à l’oeuvre dans l’accès au savoir ne se limitent pas à ces procédures stéréotypées. En effet, un savoir authentique ne se borne jamais à présenter des séries de faits et n’est jamais constitué d’une juxtaposition d’énoncés ; les énoncés sont liés entre eux par des relations qui font que l’ensemble constitue un tout cohérent. Dès lors, entrer dans un savoir, c’est prendre en compte ces relations et reconstituer pour soi-même les inférences qui lient les différents énoncés : il y a là, à l’évidence, une activité intellectuelle comportant la mise en oeuvre d’un ensemble de compétences.
En outre, il faut se souvenir que la forme textuelle d’un savoir, telle qu’elle apparaît dans le cadre de l’enseignement, n’est jamais qu’une forme transitoire de ce savoir (cf. Rey, 2002). Du côté du chercheur, le savoir est une pratique, pratique de recherche qui tente de répondre à des problèmes et cette pratique met en jeu différentes compétences qui interviennent les unes dans la construction et la formulation du problème, les autres dans l’élaboration d’une méthodologie, d’autres encore dans le recueil des données, dans leur interprétation et leur discussion, etc. Du côté de l’élève, il y a, à nouveau, une pratique dont la nature peut changer quelque peu en fonction des modalités didactiques selon lesquelles on lui présente le savoir, mais qui tôt ou tard le confronte à des tâches plus ou moins ouvertes.
Un des éléments qui paraît commun à la pratique du chercheur et à celle de l’élève est que l’un et l’autre sont appelés, non pas à résoudre des problèmes, mais plutôt à construire des problèmes. Il y a ainsi, propre à tout savoir, une compétence de problématisation qui consiste à mettre en question les évidences, à interroger ce qui paraît ordinairement aller de soi, à se demander pourquoi les choses sont telles qu’elles sont. Les compétences de problématisation paraissent être au coeur des savoirs et en constituer une condition fondamentale.
Conclusion
Est-ce que les référentiels de compétence qu’on voit apparaître désormais, dans beaucoup de pays, introduisent une transformation de ce que l’école a pour mission de transmettre ? Le risque existerait si ces référentiels comportaient en abondance des compétences utiles à la vie pratique. Or il y en a peu. La plupart des compétences listées sont internes aux savoirs scolaires : elles formulent des opérations qu’il faut savoir effectuer à bon escient pour pouvoir comprendre les savoirs.
Est-ce à dire que ces compétences ne servent à rien et laissent intacts les savoirs ? Pour l’essentiel il en est bien ainsi, mais la formulation sous forme de compétences de ce qu’il y a à apprendre focalise l’attention sur des difficultés qui leur préexistaient, mais
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En outre, les concepteurs de référentiels sont manifestement confrontés à une difficulté lorsqu’ils tentent d’établir les compétences, utiles à la vie pratique, que l’école aurait pour mission de faire acquérir. Car dans une société où les valeurs, les conditions de vie, les cultures et les projets personnels sont infiniment divers, on ne voit pas selon quels critères on devra sélectionner les compétences indispensables à la vie : devra-t-on retenir la compétence à effectuer des placements financiers profitables ou la compétence à apprécier l’art contemporain ou bien la compétence à s’occuper d’un nourrisson, ou bien encore la compétence à faire de la maçonnerie ? Le temps scolaire n’étant pas infini, il faudrait opérer des choix. Quelle instance aurait la légitimité pour le faire ? Devant une telle difficulté, la tentation est forte, pour celui qui tient à dresser la liste des compétences utiles à la vie, de se replier sur des compétences générales telles que celles que nous avons évoquées plus haut : savoir observer, comparer, résoudre un problème, exploiter l’information, etc.
Indications bibliographiques
MEIRIEU, Ph. et DEVELAY M., 1992, Emile, reviens vite…Ils sont devenus fous, Paris, ESF.
ROEGIERS, X., 2001, Une pédagogie de l’intégration : compétence et intégration dans l’enseignement, Bruxelles, De Boeck Université.
BECKERS, J., 2002,

À propos de Artisan de l'ombre

Natif de Sougueur ex Trézel ,du département de Tiaret Algérie Il a suivi ses études dans la même ville et devint instit par contrainte .C’est en voyant des candides dans des classes trop exiguës que sa vocation est née en se vouant pleinement à cette noble fonction corps et âme . Très reconnaissant à ceux qui ont contribué à son épanouissement et qui ne cessera jamais de remémorer :ses parents ,Chikhaoui Fatima Zohra Belasgaa Lakhdar,Benmokhtar Aomar ,Ait Said Yahia ,Ait Mouloud Mouloud ,Ait Rached Larbi ,Mokhtari Aoued Bouasba Djilali … Créa blog sur blog afin de s’échapper à un monde qui désormais ne lui appartient pas où il ne se retrouve guère . Il retrouva vite sa passion dans son monde en miniature apportant tout son savoir pour en faire profiter ses prochains. Tenace ,il continuera à honorer ses amis ,sa ville et toutes les personnes qui ont agi positivement sur lui

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