Conférence de Bernard REY, 22 septembre 2010, auprès des formateurs du groupe “socle commun, évaluation par compétences”, à Dijon.
Bernard Rey, ancien professeur du secondaire en France, docteur en sciences de l’éducation, est professeur à l’Université Libre de Bruxelles. Il dirige un groupe de recherches sur “les compétences et l’évaluation” depuis 1999. Le groupe de chercheurs ne se présente pas comme militant des compétences, mais se pose la question suivante : “l’approche par compétences est-elle susceptible de réduire les difficultés des élèves ?”
La définition officielle de “compétence” :
- connaissances
- capacités (mobilisables dans des situations variées)
- attitudes (attention ces attitudes ne doivent pas être comprises comme le résultat des connaissances et des capacités, mais comme un comportement commandé par un ensemble de valeurs)
Devant l’abondance des compétences et la multiplicité des énoncés (sous-compétences), il convient de mettre de l’ordre :
1) Essai de classification des compétences.
- connaissances.
- compétences générales.
- compétences spécifiques.
Problème de l’enseignant : comment faire acquérir ces compétences ?
Pour les connaissances, le problème est relativement simple : la répétition. Pour les autres compétences, le problème est complexe.
* Compétences générales : opération mentale sans préciser l’objet sur lequel elle porte. ex : émettre une hypothèse, argumenter…
Les compétences générales sont au-delà des disciplines. Dans l’esprit du socle commun, elles doivent conduire à la formation de l’esprit de l’élève. L’élève doit se doter de compétences générales qui lui serviront dans sa vie personnelle et professionnelle.
Mais on ne sait pas comment les faire acquérir, cela reste un pari. Il n’y a pas moyen de vérifier ces acquis. Il n’est pas certain qu’une démarche soit transférable sur des contenus différents. Les recherches confirment qu’il n’existe pas de démarches mentales qui pourraient s’appliquer à des contenus différents, au moins pour deux raisons :
- Les formulations sont trompeuses : un même mot peut recouvrir des réalités différentes (ex : savoir identifier un problème), le sens n’est pas le même dans les différentes situations que l’on rencontre. (Autre ex : observer. Est-ce qu’observer une carte de géographie relève de la même structure mentale qu’observer le comportement d’un animal pour comprendre son fonctionnement biologique ? )
- Poids important du contexte. Les élèves ont du mal à repérer ce qu’il y a de commun dans différentes situations.
Donc, il y a une grande incertitude sur les compétences générales, il faut être très prudent avec les formulations.
* Les compétences spécifiques :
L’objet est indiqué. ex : mesurer un angle.
L’objet sur lequel elles portent est identifiable. Certaines formulations sont très étroites, d’autres plus larges. Il est possible de subdiviser ces compétences entre “procédures automatisables” et “compétences avec mobilisation”.
Les procédures automatisables ou stéréotypées:
Ce sont des actions standardisées que l’on peut faire acquérir aux élèves par la répétition.
ex : l’équation du second degré.
Les compétences avec mobilisation :
De loin les plus nombreuses, il faut chercher celles qui conviennent à une situation.
ex : “mobiliser ses connaissances pour donner du sens à l’actualité”
L’élève doit faire un choix parmi les compétences et les procédures qu’il possède et utiliser celles qui conviennent le mieux à la situation.
Un individu est sensé avoir des connaissances et des procédures acquises.
C’est ici le centre de la problématique des compétences.
L’intérêt de l’approche par compétences est de dire aux enseignants : « attention, les élèves doivent être capable de faire ».
L’aspiration du socle commun est de donner une ambition à l’école afin que les élèves sachent mettre en oeuvre les procédures dans des situations diverses et variées.
2) Problème de la transversalité.
On peut parler de compétences transversales.
- compétences générales : démarche mentale supposée être indépendante de l’objet sur lesquelles elles portent.
- Compétences spécifiques mais qui ne sont pas liées à une discipline classique de l’école auxquelles peuvent contribuer plusieurs disciplines classiques. ex : savoir distinguer un argument rationnel d’un argument d’autorité.
La collaboration entre les enseignants est nécessaire afin qu’ils puissent annoncer aux élèves que cette démarche se retrouve dans d’autres disciplines (cohérence de vocabulaire).
- Il existe dans le socle des compétences spécifiques qui ne se trouvent pas dans les disciplines. Il faudrait créer un espace et définir quelques enseignements qui y participent notamment dans les compétences 6 et 7. ex : les élèves doivent respecter les règles. Pour beaucoup d’ados, une règle (loi ou règle de bon sens ou règlement intérieur…) est considérée comme une brimade imposée. La règle imposée par l’adulte, arbitraire, faite pour embêter, s’appuie sur le fait que l’adulte a du pouvoir. Il faut donc une concertation entre adultes, puis une mise en situation afin que les règles ne soient plus perçues comme arbitraire mais indispensables à la communauté.
3)Discussion :
* Pourquoi les élèves des milieux défavorisés ont-ils plus de difficultés à acquérir les compétences ? Ils n’ont pas souvent l’occasion dans leur quotidien de mobiliser leurs compétences dans des situations variées et ont donc plus de difficultés à acquérir les compétences générales.
* Les “situations-problème” sont-elles des situations d’apprentissage qui permettent de mieux faire acquérir les compétences ? Une “situation-problème” est une activité conçue par l’enseignant spécialement pour que les élèves se rendent compte que leur conception préalable ne fonctionne pas (travail sur les représentations). La situation problème est efficace quand elle est bien construite. il s’agit de “théâtraliser”, d’attirer l’attention sur ce qui fait difficulté. Cependant, la situation-problème est longue à préparer et longue à mettre en oeuvre dans la classe. En fait, l’essentiel est de faire remarquer que l’enseignement est en rupture avec la pensée commune. ex : en primaire, l’élève pense que le nombre le plus grand, est le plus long. Cependant, si on compare 3.741 et 8.1, il y a bien rupture avec le raisonnement des élèves. Les élèves doivent se rendre compte eux-mêmes que leur conception est erronée. L’enseignement doit mettre en place des stratégies pour contrarier les représentations des élèves.
Cette méthode comporte des risques : elle nécessite des mises en activité, avec le risque que l’élève se concentre sur l’activité et ne perçoive pas le sens caché de l’activité, le savoir qui est derrière. La mise en activité piège les élèves qui ont des difficultés de mobilisation. C’est pourquoi l’enseignant propose une synthèse, mais beaucoup d’élèves ne font pas le lien entre la synthèse et l’activité. L’explicitation est fondamentale.
L’enseignement magistral est très efficace avec de bons élèves, car ils se posent les bonnes questions et font eux-mêmes les liens implicites, mais n’a pas d’efficacité avec les élèves en difficulté.
L’approche par compétences est l’idée d’un usage de la tâche : on étudie telle chose … en vue de….. Il y a fonctionnalité, ce qui oblige à expliciter l’usage. C’est la différence avec l’approche par objectif qui conduit à des micro-tâches, souvent sans mise en relation et les élèves ne peuvent en voir l’usage.
4)L’évaluation des compétences :
il s’agit de proposer des tâches qui ne correspondent pas à des procédures simples, mais des tâches plus larges, exigeant des procédures que les élèves sont sensés connaître, mais inédites et non travaillées en classe. De préférence des tâches complexes (différent de compliqué) : qui exige la mobilisation de plusieurs connaissances et procédures.
Mais comment évaluer les élèves s’ils n’ont pas été entraînés en classe ?
Bernard REY et son équipe ont appliqué un modèle d’évaluation par compétences en trois phases, adoptées par le ministère francophone de l’éducation en Belgique.
Elaboration d’une évaluation en trois phases :
La première phase :
On donne une tâche complexe et inédite aux élèves. Mais qui ne requiert que des connaissances et des procédures auxquelles ils ont été entraînés. (ex : un problème de maths : les élèves doivent repeindre la salle de classe, combien ça va leur coûter ? ils disposent de la hauteur et de la largeur des murs, de la hauteur et de la largeur des fenêtres et du tableau, du prix de la peinture en fonction de la qualité et du pouvoir couvrant ce celle-ci.)
Les élèves font ce qu’ils peuvent. L’important étant la démarche et le choix des procédures, pas le résultat final. (une majorité des élèves parvient à réaliser cette tâche)
Deuxième phase : exactement la même tâche, mais on décomplexifie la tâche en petites unités qu’on décortique. Pour chaque petite unité, l’élève doit accomplir la procédure à bon escient.
Troisième phase : on propose des petits exercices destinés à vérifier qu’ils maîtrisent connaissances et procédures de base, nécessaires à la tâche complexe de départ. (les opérations sont données)
La première phase nous permet de voir si l’élève peut mobiliser les deux autres phases permettant de voir ce qu’il a acquis, comme connaissances ou procédures de base.
NB : Certains peuvent réussir la première phase sans réussir les deux autres, car ils ont un cheminement qui leur est propre.
Intérêt de ce modèle : ce n’est pas une évaluation élitiste. Si on se contente de la première phase, on met en difficulté un grand nombre d’élèves.
Afin que les élèves mobilisent à bon escient les procédures, il faut qu’ils interprètent la situation. (C’est là qu’interfèrent les pré-conceptions ou représentations). Or, plusieurs interprétations sont possibles (il y a ce qui est scolairement attendu, ce qui ressort de la vie pratique, du sens commun…).
Des élèves n’arrivent pas à mobiliser les procédures attendues parce qu’ils ne peuvent pas capter les procédures scolaires (“regard instruit” non acquis, parce que l’école est impuissante à l’expliciter ), certains élèves sont “parasités” par leur environnement personnel, leur quotidien (les élèves qui choisissent d’acheter le plus gros pot de peinture, s’il en reste on le rapporte au magasin !). Ceux qui réussissent baignent dans un milieu proche de celui de l’école.
Certains élèves ne s’interrogent pas sur l’utilité des tâches. Ils font, parce qu’on le leur demande. La tâche n’a pas de sens en soi. (ils font des opérations, mais sans chercher leur utilité)
Ils n’ont donc pas le sentiment d’apprendre. Ces élèves viennent plutôt des milieux défavorisés. Ils accomplissent la tâche avec docilité mais sans percevoir le sens-second. Notion de “secondarisation” (Stéphane Bonnery) de la tâche que les élèves ne perçoivent pas si elle n’est pas clairement explicitée.
Les expériences menées en Belgique à partir de ces évaluations montrent clairement qu’il ne suffit pas de maîtriser les compétences de base (phase 3), pour pouvoir acquérir des compétences complexes (phase 1). Ce qui remet en cause l’idée reçue selon laquelle il suffit de faire répéter des tâches simples aux élèves pour les faire progresser (ex : calcul ou conjugaison en séances de soutien, ou en cours particuliers).
5)La mobilisation.
Comment permettre aux élèves la mobilisation indispensable à la maîtrise des compétences ?
Pour savoir mobiliser il faut interpréter de manière scolaire.
Il faut identifier la culture scolaire nécessaire, les attitudes mentales, pour mobiliser, pour être dans ce “regard instruit”. Cependant, nous, enseignants, nous ne comprenons pas que des élèves n’aient pas ce regard instruit.
- Il faut donc qu’en tant qu’enseignant nous prenions conscience de cette culture scolaire nécessaire.
- Il faut expliciter les enjeux d’apprentissages et de savoir (la secondarisation). Car les élèves ne font pas d’eux-mêmes le passage de l’”activité” au “savoir”.
- Le regard instruit est lié à la « textualité » des “savoirs scolaires”. Ce que l’enseignant propose aux élèves est toujours un texte à composante écrite ou orale, un ensemble de discours constitué d’énoncés cohérents les uns avec les autres. A l’intérieur du texte, il y a des mots qui gardent le même sens et des mots dont le sens varie en fonction des relations avec les autres mots (contexte). Cette “textualité” est difficile pour certains élèves, voire incompréhensible. Il s’agit du problème des deux usages du langage :
o dans la vie courante le langage s’éclaire par la situation.
o dans le texte, l’énoncé, c’est la mise en relation des mots qui donne le sens, ce qui pose problème aux élèves qui dans leur milieu ne pratiquent qu’un usage du langage : celui de la vie courante. Ces élèves perdent pied au collège.
6)Discussion :
“Le maintien d’une note sur 20 est-il pertinent quand on évalue par compétences ?”
La réponse n’est pas tranchée.
La pertinence d’une note sur 20 dans une évaluation par compétence peut encore avoir un sens, si la note est révélatrice des compétences. On peut très bien donner une valeur à certaines compétences et donc l’évaluer de façon chiffrée. En revanche, faire une somme de “pommes” et de “poires” n’a aucun sens. Quant à la moyenne, elle ne veut absolument rien dire !
L’évaluation par compétences permet-elle de mettre les élèves en difficulté en situation de réussite ?
L’état actuel de la recherche ne permet pas de démontrer que l’approche par compétences a réduit les difficultés des élèves en Belgique. Néanmoins, elle a le mérite de focaliser l’attention sur la source des difficultés, ce qui est indispensable pour la remédiation. La compréhension des élèves ne peut qu’être favorisée par l’explicitation.
Liens utiles :
Entretien avec Bernard Rey :
http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/lenseignant/primaire/elementaire/Pages/2009/103ElemRey.aspx
Les évaluations types :
http://www.enseignement.be/index.php?page=24345&navi=1776
Bibliographie :
REY B., CARETTE V., DEFRANCE A., KAHN S., “Les compétences à l’école : apprentissage et évaluation, Bruxelles, 2003, De Boeck, Bruxelles.
REY B. STASZEWSKI M., “Enseigner l’histoire aux adolescents, démarche socio-constructiviste”, 2010,De Boeck, Bruxelles.
6 avril 2015
13. Tlemcen, Bernard Rey