Avant même de savoir lire, l’enfant doit découvrir ce qu’est l’acte de lecture, connaître ses enjeux etsavoir ce que lire veut dire. Parallèlement, l’apprentissage de la lecture ne peut pas être envisagé sereinement sans une vraie maîtrise de la langue orale. Des activités adaptées doivent ensuite être proposées, afin de contribuer à la mise en place desprocessus minimaux nécessaires à l’identification et à la reconnaissance des mots. Ces processus, qui constituent un instrument et non un préalable, sont indispensables, mais non suffisants pour entrer dans la compréhension. Car on apprend à comprendre et cet apprentissage fait partie intégrante de l’apprentissage de la lecture. Construire le sens des phrases, appréhender la cohérence d’un texte, nécessitent l’accompagnement d’un médiateur bienveillant et exigeant. Un enseignant doit pouvoir identifier les difficultés d’apprentissage de ses élèves, et proposer des aides et des remédiations adaptées aux besoins. Comprenant la complexité de l’activité de lecture, il conduira ses élèves vers la pluridisciplinarité qu’elle requiert et l’autonomie et la polyvalence qu’elle autorise.
Alain Bentolila |
Maîtriser la langue orale
Les enfants n’arrivent pas tous à égalité à la porte de l’écrit. Certains ont eu la chance de rencontrer tout au long de leur parcours préscolaire des médiateurs bienveillants, attentifs et éclairés qui leur ont progressivement permis de comprendre le rôle du langage et les principes essentiels de ses modalités de fonctionnement. Les autres, moins heureux, n’ont pas cette chance. N’ayant avec la langue aucune distance, ils n’ont qu’une idée confuse des éléments qui la constituent et des règles qui l’organisent. Une part importante des inégalités à l’entrée en maternelle dépend du degré de lucidité qu’ont les enfants sur les finalités et le fonctionnement du langage et de leur connaissance des règles d’organisation et de structuration de la langue maternelle. L’avenir linguistique et, plus généralement, la réussite scolaire de bien des élèves, dépendra de la capacité de notre école maternelle à poser les termes d’une relation plus claire, plus confiante et plus lucide avec la langue orale puis écrite. Il faut bien reconnaître qu’en matière de communication orale, les démarches pédagogiques ne sont pas faciles à mettre en œuvre : elles supposent en effet des moyens et une formation permettant d’écouter, d’évaluer et de faire progresser chaque enfant. Ne l’oublions pas : les paroles s’envolent ! De ce fait, il est délicat de travailler sur une matière aussi volatile et éphémère que l’oral. Ajoutons à cela que l’on a affaire à une trentaine d’élèves dont les capacités de parole et les capacités d’écoute sont extrêmement inégales, et l’on comprendra pourquoi il n’est pas simple de programmer et de vérifier des avancées significatives en communication orale en cours d’année scolaire. Seule l’organisation d’ateliers de communication orale où l’on prend le temps de se questionner sur ce que l’on dit, de questionner l’autre avec sérénité mais exigence, peut permettre d’apprendre ce que parler veut dire.
Pourtant, cette entrée dans le langage par les activités d’expression orale est essentielle. L’enfant construit ses capacités langagières et s’approprie la langue grâce aux interactions avec les adultes et, à un moindre degré, avec ses pairs. L’école doit offrir à chaque enfant une aide à la construction de ses capacités langagières et lui permettre d’expérimenter le fonctionnement, les rituels, et les règles de la communication avec autrui. L’enfant apprendra qu’une bonne communication nécessite de connaître et de savoir utiliser la langue pour comprendre, transmettre et échanger des significations et du sens. Il acceptera alors d’apprendre les règles communes de cette langue, le choix des mots et leur organisation en énoncés cohérents. Il saura anticiper la compréhension du message qu’il produit, et le reformuler si nécessaire, en fonction de l’auditoire, du contenu qu’il veut transmettre, et de son intention de communication. Sauf à accepter que certains enfants s’engagent dès le début de leur scolarisation dans le long couloir qui conduit à l’illettrisme, l’école, et en tout premier lieu l’école maternelle, doit faire de la maîtrise de la langue, outil de communication et de construction des connaissances, son objectif et son combat principal.
Rien n’est plus essentiel que de créer à l’école maternelle mais aussi tout au long de l’école élémentaire les conditions propices à la prise de conscience, certes individuelle, mais collectivement ressentie, des enjeux du langage, du « pourquoi » et du « comment » de la langue et de ses fonctions. Ainsi, on fera découvrir aux enfants que la langue permet, non seulement d’échanger des observations, de découvrir et d’exposer des points de vue, mais aussi de co-construire tout un ensemble de connaissances, d’organiser et d’enrichir ses représentations du monde. Cette prise de conscience, qui précède l’octroi des moyens linguistiques, est fondatrice d’un parcours d’apprentissage linguistique et cognitif réussi. A la maternelle, l’enseignant peut aider les enfants à acquérir des capacités « métacognitives » (c’est à dire ici : savoir se questionner et formuler des hypothèses sur le langage et sur la langue). Ce sera essentiel pour les acquisitions ultérieures. Même si les conditions matérielles s’avèrent peu propices à une réelle et efficace médiation langagière en classe, il est nécessaire de mobiliser toutes les forces pédagogiques pour que les enfants aient la chance de vivre ce moment privilégié où la langue, en se dévoilant, laisse entrevoir un monde digne d’être conquis.
Malheureusement, certains élèves poussent pour la première fois la porte de l’école avec un bagage linguistique léger ou désordonné. Le rôle de l’école est de favoriser et de multiplier les prises de parole, afin d’amener les enfants à structurer et à enrichir leurs productions. Il est notamment essentiel d’accorder un intérêt tout particulier à l’enrichissement du lexique mental des élèves. Avant de s’engager dans l’apprentissage de la lecture, la majorité des enfants doit pouvoir s’appuyer sur des représentations riches et variées des objets du monde et des étiquettes verbales qui les désignent, afin de favoriser plus tard l’activité de déchiffrage et l’activation de la signification des mots identifiés. L’école doit pouvoir, en partie au moins, combler les déficits en enrichissant ce lexique mental, non seulement en favorisant, l’acquisition du vocabulaire de base, utilisé dans la plupart des activités de la vie quotidienne, mais aussi en entraînant son organisation structurée. Cela permettra aux enfants de construire des représentations mentales localement et globalement cohérentes de ce qui est lu. L’enfant ne pourra réussir son travail de compréhension que si le texte lu s’intègre à ses connaissances antérieures et donc aux mots qui les désignent.
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Apprendre ce que c’est que lire avant de savoir lire
Il est important d’habituer les élèves progressivement à se « frotter » au langage écrit et à ses règles propres de construction. En d’autres termes, il convient de les familiariser peu à peu avec les différentes « voix des textes ». Il est souhaitable que l’enseignant lise différents types de textes écrits : des récits, des contes, des poèmes, des récits de vie, mais aussi des textes de procédure (recette, consignes…), des textes d’explication ou de réflexion autour d’un thème adapté aux intérêts des enfants et en rapport avec un projet de classe… Tous ces types de textescorrespondent à des buts de lecture différents et se lisent différemment selon le contexte et les objectifs que l’on souhaite atteindre par cette lecture. C’est ainsi que l’enfant prendra conscience que les textes lus requièrent des stratégies de compréhension différentes avant d’en faire lui-même l’expérience.
Il est important que ces écrits puissent être lus avec autant de conviction que de talent ; l’enseignant doit donner voix au texte comme un musicien donne vie à une œuvre. À ce propos, il faut que la formation des maîtres comporte un entraînement sérieux à la diction maîtrisée de textes poétiques, de prose ou de pièces de théâtre. C’est ainsi que l’école, avant que d’engager l’enfant dans l’apprentissage nécessairement laborieux de la lecture, va afficher à son intention les promesses du plaisir de lire. Cette promesse de découverte de mondes inconnus et merveilleux constituera une puissante motivation qui rendra moins pesant le travail de maîtrise du code écrit.
La simple lecture à haute voix de textes écrits, si elle permet une sensibilisation aux structures de la langue écrite, ne suffit cependant pas à mettre en évidence la diversité des processus de lecture et de compréhension. La signification du texte doit apparaître comme un objet à construire. Par conséquent, une fois le texte lu par l’enseignant, beaucoup reste à faire. Il pourra ainsi demander aux élèves de proposer leurs interprétations respectives du texte lu. Il notera avec soin les différentes propositions et, notamment, celles qui manifestent des interprétations divergentes. Il relira ensuite le texte en lui faisant jouer un rôle d’arbitre : certaines interprétations se révèleront alors contradictoires avec le contenu sémantique véhiculé par le texte. Ainsi, les enfants prendront conscience que le rapport à un texte écrit implique autant de liberté que de contraintes : liberté de vivre le texte de façon personnelle, c’est-à-dire selon la signification qu’en donne chacun, mais liberté qui s’exerce dans les limites imposées par la constitution même de ce texte et son contenu sémantique, c’est-à-dire de son sens. L’élève peut ainsi comprendre, avant même de savoir lire, que le texte écrit constitue un ensemble de signes avec lesquels il doit construire de la signification. L’enfant construit cette signification d’un texte en activant les connaissances antérieures et les modèles du monde évoqués par ce texte, variables selon son milieu, sa langue et sa culture d’origine.
Si les écrits, dans la diversité de leurs supports et de leurs contenus, doivent être présents au sein même de la classe, il paraît difficile d’accepter l’intrusion désordonnée dans les écoles maternelles d’écrits dont le foisonnement hétéroclite tente de donner l’illusion d’une authenticité retrouvée : le chèque y fréquente le bon de commande de la Redoute ; l’affiche publicitaire y voisine avec la recette de cuisine ; le mode d’emploi d’un article électroménager le dispute parfois au conte merveilleux ou au poème. La seule présentation de la pluralité ne saurait entraîner une vision cohérente du monde de l’écrit. Ces « bains d’écrits » dans lesquels on plonge les élèves, avec l’espoir qu’ils s’y imprègnent d’une sorte de culture écrite, sont à la fois inefficaces et souvent dangereux. Il ne suffit pas de proposer une grande quantité et une grande variété de textes et de supports de lecture pour que cette diversité favorise l’activité de construction de la signification par l’élève. Cette diversité ne peut en aucun cas se substituer à la mise en place et au développement des stratégies de lecture et de compréhension. Seul l’enseignant médiateur peut, à partir d’un nombre limité de documents, montrer quelles sont, dans l’école et hors l’école, les différentes fonctions des textes et documents. L’école est en effet le lieu où l’enseignant aide l’enfant à donner du sens à la diversité et au désordre du monde. Cette habileté à mettre de l’ordre, à organiser, à ordonner, à classer les informations et les objets du monde en les mettant en cohérence se construit dès le plus jeune âge. Il importe donc de concevoir des situations d’apprentissage qui puissent permettre à l’élève de construire et de développer cette habileté à catégoriser.
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Apprendre à lire et savoir lire
Lorsqu’on observe un lecteur expert lisant, son comportement nous paraît aussi naturel que s’il nageait ou s’il faisait du vélo. On pourrait avoir l’illusion que la signification jaillit du texte sans qu’il se donne même la peine de la construire. D’où la déduction un peu rapide qu’il suffit de mettre un enfant en situation de lire pour lui faire découvrir, d’hypothèses en déductions empiriques, les mécanismes du code écrit et qu’il « naisse » ainsi à la lecture avec autant de plaisir que d’efficacité. Cette conception de l’apprentissage de la lecture que l’on pourrait qualifier de « romantique » est peu fondée scientifiquement et dangereuse sur le plan pédagogique. Il est important d’établir une distinction claire entre apprendre à lire et savoir lire. Le comportement du lecteur expert ne nous fournit pas directement un modèle d’apprentissage. En fait, lorsqu’on apprend à lire, il est nécessaire de découvrir comment fonctionne le code écrit et ses relations avec l’oral. Confronté à un mot peu fréquent, à une tournure inusitée ou archaïque, le lecteur doit pouvoir s’interroger sur lacomposition du mot ou sur l’organisation de la phrase.
Ainsi, on apprend à lire en explicitant les mécanismes de l’activité de lecture et en élucidant par la réflexion les règles conventionnelles qui régissent le code écrit. Petit à petit les opérations de décodage s’automatisent et s’effectuent de façon non consciente, petit à petit s’organise la connaissance des indicateurs grammaticaux et des connecteurs logiques (qui assurent la structuration des phrases) et des indicateurs temporels (qui renforcent la cohésion textuelle).
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Apprendre à identifier les mots
De nombreuses données de la recherche ont révélé chez les élèves en difficulté de lecture une difficulté à reconnaître les mots. Sans être la seule cause de l’illettrisme, ce handicap en constitue l’une des composantes majeures. Faute d’une identification des mots précise et complète, la lecture d’un texte reste approximative, sinon aléatoire. Il est donc important de veiller tout particulièrement à ce que tous les élèves apprennent à identifier les mots avec efficacité : c’est-à-dire en alliant rapidité et précision. Ce n’est pas un jeu de devinettes et s’interroger sur le contexte type dans lequel se trouve un mot ne suffit pas pour l’identifier.
La capacité à identifier les mots est complexe et se met en place très lentement. Selon la plupart des spécialistes, elle se réalise selon plusieurs modes. Au cours de ses premiers contacts avec les mots, l’enfant en distingue quelques-uns par leur longueur, leur allure générale, leur silhouette. Cette phase, dénommée « logographique », limitée par les aptitudes de la mémoire et des critères de distinction insuffisants, laisse place à une démarche plus productive : la phase « alphabétique « .
Au cours de celle-ci l’enfant assimile, de façon progressive, les rapports entre la langue écrite qu’il découvre et la langue orale qu’il connaît déjà. Afin de permettre l’acquisition des processus decodage puis la maîtrise du code, l’enseignant aide l’enfant à comprendre que les mots prononcés peuvent être segmentés en syllabes et en phonèmes, que les mots écrits sont composés degraphèmes et de lettres toutes utiles, et enfin qu’il existe un système de correspondances écrit – oral. En fait, la compréhension de la relation qui unit unités de l’écrit et sons de la langue, appeléeprincipe alphabétique, est le véritable moteur de l’entrée dans l’identification des mots. Certes, la complexité des relations entre lettres et sons est, en français, source de difficultés, particulièrement pour les enfants d’origine linguistique différente. Mais derrière cette complexité bien réelle, existe une régularité des règles de correspondances grapho-phonémiques. Au seuil de la lecture, l’enfant dispose d’un lexique mental, qu’il va enrichir sans cesse, dans lequel chaque mot est associé à une combinaison particulière de sons. Il lui faut faire correspondre l’assemblage des lettres qu’il voit sur la page à l’assemblage de sons qu’il entend pour identifier le mot écrit. Mais cette capacité dépend évidemment de la richesse de ce lexique mental. Bien sûr, si le lexique mental est trop pauvre l’élève ne pourra pas avoir accès au mot et à son sens, tout simplement parce que, à l’oral, il ne le connaît pas. Ceci dit, sans cette capacité, il serait aussi en échec ou en dépendance devant chaque mot perçu pour la première fois.
L’assemblage grapho-phonémique mécaniste n’est pas une fin en soi. Le but de l’apprentissage de la lecture est de permettre à l’élève de se constituer progressivement un dictionnaire mental dans lequel l’orthographe de chaque mot écrit sera reliée au sens qui lui correspond. Mieux on fera découvrir les liens complexes mais réguliers qui existent entre les mots écrits et les mots oraux, mieux on entraînera l’élève à automatiser le passage des uns aux autres, et plus on lui donnera de chances d’accéder directement et rapidement au sens des mots à partir de la seule reconnaissance de leur forme orthographique. C’est la phase dite « orthographique » de la lecture. L’enfant abandonne ainsi progressivement le recours systématique à la voie indirecte, activité coûteuse sur le plan intellectuel puisqu’elle occupe l’essentiel des ressources cognitives lorsqu’elle s’applique, pour se consacrer plus essentiellement à la construction du sens.
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En chemin vers la compréhension du texte lu : l’importance de la syntaxe
On pourrait penser finalement qu’apprendre à lire se résume simplement à apprendre à identifier les mots. La construction de la signification des mots, puis des phrases, puis de l’ensemble du texte, serait affaire de grammaire et de vocabulaire, toutes choses dont la maîtrise de l’oral garantirait le réinvestissement. Il s’agit là d’une conception erronée et simpliste de l’apprentissage de la lecture.
On ne peut se contenter d’espérer que les règles de grammaire de phrase et de cohérence textuelle dont un enfant fait implicitement usage lorsqu’il parle vont se réinvestir « naturellement » pour organiser la suite des mots écrits qu’il identifie. En fait, l’apprentissage de la lecture nécessite l’explicitation des conventions syntaxiques et sémantiques que le langage oral mobilise, lui, de façon implicite et qui participent à la construction de la signification des phrases et des textes.
La construction de la signification locale met en jeu des processus d’analyse syntaxique. Le lecteur doit non seulement identifier les mots et leurs significations, mais aussi leur attribuer du sens correspondant au contexte. De plus, il doit prendre en compte les caractéristiques syntaxiques de leur organisation au sein de la phrase. Le développement de cet apprentissage de la compréhension de la phrase peut se concevoir comme une complexification progressive de la compréhension de la phrase simple (sujet – verbe – complément), par ajouts successifs des divers circonstants. L’étape suivante consistera alors à proposer un degré supérieur de difficulté en présentant des couples de phrases et en montrant la nature sémantique et pragmatique de leur liaison, à l’aide des outils lexicaux ou syntaxiques susceptibles de signaler les formes de continuités et d’enchaînements.
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Apprendre à comprendre
La question pédagogique centrale n’est pas seulement de persuader un enfant de faire du sens au lieu de faire du bruit. La question est de lui montrer explicitement comment on comprend, c’est-à-dire comment on construit la signification d’un texte, comment on assume pleinement et activement sa responsabilité de lecteur, comment enfin on peut affirmer son droit d’interprétation (c’est-à-dire de construction active d’une signification), tout en respectant le sens du texte (c’est-à-dire la signification partagée par l’ensemble des individus et qui résulte des contraintes imposées par la structure et le contenu informationnel du texte).
Les activités de compréhension mettent en jeu tout un ensemble de processus qui permettent de construire la signification des phrases (ou signification locale, appelée aussi microstructure) et la signification de l’ensemble du texte (ou signification globale, appelée macrostructure).
En ce qui concerne la compréhension locale, on ne négligera jamais l’importance majeure du lexique, et de nombreuses activités pourront utilement chercher à enrichir l’environnement lexical et le vocabulaire pour une contribution efficace à la compréhension du texte.
Pour construire la signification globale d’un texte, le lecteur doit organiser de façon hiérarchique et cohérente l’ensemble des significations appartenant à la microstructure. Cette construction nécessite l’évaluation de l’importance relative des informations. En effet, toutes les informations présentes dans un texte n’ont pas le même niveau d’importance. Certaines, contenues dans un récit par exemple, sont plus importantes que d’autres pour comprendre l’histoire qui est racontée et en construire la macrostructure. De même, certaines informations contenues dans une recette décrivant les procédures de réalisation d’un gâteau sont plus pertinentes que d’autres pour réaliser le gâteau.
Notons que la hiérarchisation des informations contenues dans un texte varie selon le type de texte, sa structure, sa valeur affective et son origine culturelle. Mais elle varie aussi en fonction des connaissances spécifiques de l’individu et du contexte social et culturel dans lequel elles s’élaborent. Tous ces facteurs de variabilité influencent l’activité de compréhension des textes et nécessitent la mise en jeu de stratégies de lecture différentes, variables selon le contexte, les textes et les lecteurs.
Toutes ces activités ne sont pas simples pour l’apprenti lecteur. Il doit sans cesse mobiliser ses connaissances antérieures, trouver les référents anaphoriques, organiser des champs notionnels et conceptuels cohérents et homogènes, afin d’organiser la continuité du sujet, l’enchaînement des actions et opérer les inférences nécessaires à la compréhension du texte. Par exemple, il devra rechercher en mémoire ou organiser logiquement les informations qui ne sont pas présentes dans le texte, mais qui sont nécessaires à sa compréhension. Dès le début de l’apprentissage, est très important que soient explicitement révélés les enjeux et les activités cognitives d’une tâche de lecture dont certains enfants ignorent pratiquement les finalités, voire pour certains l’existence. Par ailleurs, apprendre à lire, c’est découvrir et comprendre les enjeux culturels de cette activité. C’est pourquoi nous devons particulièrement insister sur l’importance d’une sensibilisation à la culture écrite avant même de s’engager dans un apprentissage systématique. |
Les difficultés d’apprentissage
La question pédagogique posée par la construction du sens est au moins autant de l’ordre de la technique que de l’ordre de l’éthique : comment équilibrer les droits et les devoirs du lecteur ? Parce que certains enfants ne perçoivent pas cet enjeu, leur apprentissage de la lecture restera incomplet, superficiel, fragile ou même défaillant.
De façon quelque peu schématique, disons qu’il y a deux manières de mal lire.
La première consiste en une soumission d’une telle servilité à la phrase et au texte que l’on n’en effleure même plus le sens : on aligne mots après mots, on peut leur donner forme sonore, mais on ne s’appuie pas sur l’écrit pour édifier soi-même une représentation personnelle. Englué dans un rapport souvent malhabile avec les mécanismes du code ou condamné à un déchiffrage à courte vue, ce lecteur est incapable de comprendre le texte. Il peut certes construire des éléments de signification locale, mais il ne pourra pas construire une signification globale cohérente de l’ensemble du texte. Il subit passivement et douloureusement une loi dont il ne maîtrise ni les enjeux ni les règles. Il ne s’approprie pas le texte, il le respecte comme un objet totalement étranger, étrange et extérieur à lui. Le texte n’entre pas dans son monde et il n’ose pas s’y investir, il ne le rencontre pas vraiment : au mieux il le dit et le paraphrase.
La seconde façon de ne pas savoir lire est à l’opposé de la première. C’est le cas des élèves qui situent ailleurs que dans le texte lui-même les fondements essentiels de leur compréhension. Ignorant dans une proportion importante les directives données par les phrases et les textes, ils n’en construisent pas véritablement le sens, mais tentent de l’inventer en s’appuyant sur la base fragile d’indices très partiellement reconnus. Le texte devient alors un prétexte à imaginer des histoires dont la compréhension, élaborée à partir de la signification de quelques mots glanés au hasard d’un survol, vient largement d’ailleurs. Le plus souvent, cette « lecture » approximative, qui destitue le texte de sa fonction, aboutit à une signification nourrie de stéréotypes et de banalités fictionnelles ; ce comportement déviant caractérise une forte majorité des jeunes adultes illettrés.
Un enseignant doit être capable de concevoir des activités metacognitives qui amènent chaque élève à découvrir un juste équilibre entre le respect lucide du texte lu et l’engagement personnel dans la construction de la signification de ce texte. Tout déséquilibre entraîne l’échec : autant une soumission aveugle aux seules conventions du code condamne le lecteur au déchiffrement aride, autant l’ignorance de ces mêmes conventions nie la spécificité du texte et rend l’activité de lecture inefficace. L’analyse précise des différents types de difficultés est nécessaire pour concevoir et valider des aides et des remédiations ateliefficaces, c’est-à-dire adaptées aux difficultés analysées et aux besoins spécifiques des élèves. Ainsi, un enseignant devrait pouvoir distinguer les difficultés inhérentes à l’apprentissage de la lecture lui-même, auxquelles il peut remédier en classe, d’autres déficits ou handicaps plus profonds, tels que la dyslexie, qui nécessitent une aide et un appui extérieur. |
Pluridisciplinarité et polyvalence
Le collège aura bien des difficultés à donner une chance nouvelle aux lecteurs qui y arrivent malhabiles ; en effet, les exigences spécifiques à chaque discipline révèlent et accentuent les rigidités et les insuffisances de lecture. Alors qu’à l’école primaire certains élèves font illusion en fournissant des preuves ponctuelles d’un savoir-lire balbutiant, à l’entrée au collège éclate avec brutalité l’état très approximatif de leur savoir-lire. Bâties sur des bases instables, insuffisamment diversifiées, les capacités de certains élèves à la fin de l’école élémentaire ne leur permettent pas d’affronter des champs disciplinaires qui ont chacun leurs propres exigences de lecture. Sous le regard indigné de professeurs qui jugent à tort que la lecture n’est plus leur affaire, ces élèves vont se trouver confrontés à des textes fictionnels, des documents, des textes explicatifs… Mis en demeure de les comprendre et de les analyser, ils vont accumuler les échecs et perdre progressivement les quelques capacités qu’ils ont péniblement acquises. S’amorce ce processus souvent inéluctable que l’on peut appeler « l’illettrisme de retour » dont on sait qu’il annonce la marginalisation et l’échec scolaire.
Lire un conte merveilleux, un énoncé de mathématiques ou la description de la germination des graines, suppose que le lecteur adopte, dans chacun des cas, un comportement de lecture particulier. Imaginons qu’on lise un énoncé de mathématiques de la façon dont on lirait un conte merveilleux : on aurait peu de chance d’en découvrir la solution. Inversement, à lire un conte merveilleux comme l’énoncé d’un problème, on ne prendrait guère de plaisir. Chaque type de texte, chaque projet de lecture suppose une stratégie de lecture particulière. L’école doit apprendre à tous les élèves dont elle a la charge à adapter leur façon de lire à la situation qu’ils ont à affronter. Trop d’enseignants restent encore persuadés qu’une fois acquis les mécanismes de la lecture, l’élève deviendra, par la seule fréquentation de textes différents, un lecteur polyvalent. C’est ainsi que l’on voit fleurir dans la plupart des livres de lecture du cycle 3 (CE2, CM1, CM2) les textes les plus variés : modes d’emploi, publicité, poésies, théâtre, prospectus, extraits d’albums jeunesse… sans véritablement que l’on apprenne aux élèves comment identifier les différentes catégories de textes et comment « ajuster » leur lecture aux exigences de chacune d’elles. La flexibilité, l’adaptabilité de la lecture ne sont pas automatiquement fournies avec les clés du code ; ces facultés s’acquièrent progressivement par l’expérimentation et la médiation. C’est en se rendant compte qu’il s’est trompé de stratégie de lecture qu’un élève prend conscience que ces stratégies existent ; c’est dans la mesure où le maître souligne et rectifie les « erreurs d’aiguillage » que l’élève va comprendre qu’on ne lit pas tout de la même façon.
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Évaluation des performances
En matière d’évaluation, le maître est encore trop souvent livré à lui-même. Il a une vision assez approximative des performances de lecture de ses élèves dans la mesure où le repérage et l’identification des difficultés respectives de chaque enfant sont rarement systématiques et objectifs. En conséquence, ses choix pédagogiques ne peuvent prendre en compte une hétérogénéité dont il ressent certes la force inquiétante, mais dont il ne discerne pas les constituants. D’un groupe peu différencié émergent d’une part quelques très bons lecteurs, d’autre part quelques très mauvais lecteurs dont l’enseignant ne sait, dans l’un et l’autre cas, pas très bien quoi faire. Faute d’un dispositif simple et efficace d’analyse de l’hétérogénéité de sa classe, le maître, en dépit des discours l’exhortant à la diversification, est contraint de gouverner pédagogiquement au centre.
Dans l’établissement scolaire, alors que la mise en place des cycles de trois ans avait laissé espérer une gestion pédagogique plus fluide et plus collective, le cloisonnement est toujours largement la règle. Les conseils de cycle où se joue parfois le destin scolaire de certains enfants sont un lieu où se juxtaposent parfois les opinions subjectives sans que les difficultés de lecture de certains élèves y soient véritablement analysées, suivies et comparées dans la continuité de leur scolarité. Les activités d’aide dépassent très rarement les limites de chaque classe, faute de regrouper par un travail d’équipe des élèves qui, dans des classes différentes, relèveraient des mêmes actions de remédiation. Ajoutons enfin que faute d’une transparence des résultats établis sur des critères simples et clairs, l’établissement scolaire est objet de suspicion de la part des collèges et de défiance de la part des parents d’élèves.
Rien ne justifie l’effort qu’impose l’évaluation des performances des élèves et les contraintes qui l’accompagnent si ce n’est la certitude de pouvoir en tirer dans un délai très court des conséquences pédagogiques pertinentes, de pouvoir fonder un projet d’équipe et d’entretenir avec lespartenaires de l’école un dialogue plus serein et mieux explicité.
Toute opération d’évaluation devrait donc prioritairement permettre : - de regrouper les élèves selon la nature de leurs difficultés afin de leur proposer des démarches pédagogiques adaptées. - de suivre de façon continue, tout au long de l’année, l’évolution de chaque élève. - de suivre, en s’appuyant sur des critères identiques, l’évolution d’un élève tout au long d’un cycle. - de faire de l’outil d’évaluation et de remédiation le dénominateur commun d’une équipe de cycle engagée dans un projet pédagogique commun. - de partager avec les réseaux d’aide et les orthophonistes des indicateurs explicités. - d’éclairer les parents sur les projets ou les difficultés de leurs enfants en fondant le dialogue sur des données précises et compréhensibles par tous. |
30 mars 2012 à 18 h 41 min
Fantastique ce que je viens de lire !Chers collègues vous n’avez aucune excuse tout est éclaircis dans dans notre site vos situations problèmes sont résolus, allez et mettez-vous en pratique et bon courage.Mes félicitations!